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Recherches historiques autour de la Bible, de Jésus et des premiers chrétiens

Quel âge avait Jésus ?

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Suaire de Turin : photo du visage du crucifié (positif et négatif)

Suaire de Turin : photo du visage du crucifié (positif et négatif)

Quel âge avait Jésus ?

33 ans ? C’est la réponse que l’on donne habituellement. D’après la tradition, en effet, Jésus avait 30 ans au début de son ministère, il a prêché 3 ans et est mort crucifié à l’âge de 33 ans. Mais qu’en est-il exactement ?    

Tout d’abord, comme on sait, l’année zéro n’existe pas. Nous passons directement de l’an 1 av. J.-C. à l’an 1 apr. J.-C. et, si la naissance de Jésus est aujourd’hui le point de départ de l’ère commune, c’est au moine Denys le Petit (vie siècle) que nous le devons. Les données dont disposait Denys étaient essentiellement évangéliques. Il calcula que Jésus était né le 25 décembre de l’an 753 de la fondation de Rome. Mais il lui manquait alors deux données essentielles : la date de la mort du roi Hérode et celle du recensement, deux événements mentionnés par les évangélistes.

Matthieu nous dit, en effet, que Jésus naquit du temps du roi Hérode (Matthieu 2, 1). Or, l’année de la mort de ce potentat est connue avec précision : il s’agit de l’an 4 av. J.-C. Luc, de son côté, nous dit que Jésus est né sous le règne d’Auguste (27 av.-14 apr. J.-C.), l’année précise du « premier recensement » qui intervint alors que « que Quirinius était gouverneur de Syrie » (Luc 2, 2). Ce personnage est bien connu des historiens et ce premier recensement est lui aussi datable : il eut lieu très exactement en 6 apr. J.-C., année de la destitution d’Archélaüs, ethnarque de Judée, fils et successeur du roi Hérode. C’est cette année-là que la Judée est rattachée à la province de Syrie passant du même coup sous le gouvernement direct de Rome. L’empereur Auguste envoie Quirinius en Syrie avec le titre de gouverneur pour qu’il procède au recensement de « toute la terre » – tournure hébraïque c’est-à-dire de « la totalité du pays ». Ce premier recensement, qui devait servir de base à l’Empire pour calculer l’impôt, ne manqua d’ailleurs pas de provoquer une insurrection dont le Livre des Actes a conservé la trace (Actes 5, 37). Le problème est que les données fournies par Matthieu et Luc sont contradictoires. Si l’on suit Matthieu, Jésus est né peu avant 4 av. J.-C. Si l’on suit Luc, il est né en 6 apr. J.-C. Plusieurs exégètes concordistes se sont efforcés de concilier leurs témoignages en supposant qu’un autre recensement, avec le même Quirinius, avait déjà eu lieu en Judée peu avant la mort d’Hérode. Mais cette affirmation, qui ne repose sur aucune base sérieuse – mais dont le seul enjeu est de gommer les contradictions – est rejetée par la plupart des spécialistes. 

Toujours est-il que ces mêmes spécialistes s’entendent aujourd’hui pour faire naître Jésus entre 6 et 4 av. J.-C. Mais sur quoi s’appuient-ils ? Pour l’essentiel, sur le témoignage de Matthieu. Chez Matthieu, Hérode ordonne, après la visite des mages, de « mettre à mort, dans Bethléem et tout son territoire, tous les enfants de moins de deux ans » (Matthieu 2, 16). C’est le fameux « massacre des Innocents ». L’épisode est censé s’être déroulé peu de temps avant la mort d’Hérode (survenue en 4 av. J.-C.) et Jésus est alors supposé avoir moins de deux ans : il serait donc né entre - 6 et - 4. Soit. Mais quelle valeur convient-il d’accorder à un calcul qui ne repose que sur un épisode dont la réalité historique est elle-même contestée par la plupart des chercheurs ? Hormis Matthieu, en effet, ce supposé infanticide ordonné par Hérode n’est mentionné par aucune autre source contemporaine ou de peu postérieure. Les trois autres évangélistes n’en disent rien, pas plus que Paul ni que les autres rédacteurs du corpus néotestamentaire. L’historien juif Flavius Josèphe, surtout, qui ne se prive pourtant pas de dénoncer les divers crimes commis par Hérode, ignore l’épisode. En dehors des sources chrétiennes, celui-ci n’est attesté que très tardivement (début ve siècle), et de façon indirecte, par l’écrivain latin Macrobe. 

En somme, la date généralement proposée par les spécialistes comme étant celle de la naissance de Jésus (entre 6 et 4 av. J.-C.) n’offre aucune garantie. Elle repose non seulement sur un témoignage isolé et sujet à caution, mais sur un récit de type midrashique qui n’a pas pour fonction de dire l’histoire mais d’inscrire le personnage Jésus dans la légende en en faisant un nouveau Moïse et de montrer l’accomplissement des écritures (Matthieu 2, 15 et 17-18). Luc, de son côté, ignore complètement l’épisode des mages, l’astre dans le ciel, la colère d’Hérode, le massacre des innocents, la fuite en Égypte et ce qui s’ensuit. Il n’est question, chez lui, que du recensement de Quirinius, de crèche, d’anges et de bergers (mais pas d’étoile du berger ! Celle-ci est née de la collusion entre l’étoile des mages et les bergers de Luc).   

On s’est en outre longtemps interrogé pour savoir si la visite des mages guidés par une étoile – épisode relaté par le seul Matthieu (Matthieu 2, 2) – pouvait avoir un quelconque fondement historique. La comète de Halley, qui passa près de la terre en 12-11 av. J.-C., est, de fait, le seul événement astronomique notable (et bien visible) susceptible d’être mis en relation avec l’étoile des mages. Certains auteurs ont également suggéré d’y voir une allusion à une autre comète (ou nova ?) signalée par des astronomes chinois en 5-4 av. J.-C. ou à une conjonction entre Saturne et Jupiter survenue en 7 av. J.-C. Quoi qu’il en soit, si l’on ne peut absolument exclure ici la possibilité d’une réminiscence d’un de ces phénomènes dans l’épisode matthéen, ceci ne nous permet pas davantage de déterminer l’année précise de la naissance de Jésus. Force est donc de reconnaître que nous ignorons en réalité en quelle année Jésus est né et que nous pouvons seulement situer cette naissance, ainsi que je l’ai dit ailleurs, « à une date indéterminée sous le règne d’Hérode »[1].

Faut-il pour autant renoncer ? Si les évangiles de l’enfance de Matthieu et de Luc (les premiers chapitres) ne nous sont d’aucune aide, d’autres données sont cependant exploitables. Luc, tout d’abord, nous dit que « Jésus avait environ trente ans quand il commença son ministère » (Luc 3, 23). Ponce Pilate était alors préfet (« gouverneur ») de Judée (Luc 3, 1), une fonction qu’il occupa de 26 à 36 apr. J.-C. Et ce fut « la quinzième année du règne de Tibère César », précise encore Luc, que Jean le Baptiste commença à prêcher (Luc 3, 1), c’est-à-dire dans les années 28-29 apr. J.-C. Dans la mesure où Jésus a été mis en croix sur l’ordre de Pilate et que sa mort est postérieure à celle du Baptiste, il est possible de la situer dans le temps avec une relative précision : entre 28/29 et 36 apr. J.-C. (fourchette large). Les évangélistes (Matthieu 28, 1 ; Marc 15, 42 ; Luc 23, 54 ; Jean 19, 31) s’accordent en outre pour nous dire que celle-ci eut lieu un vendredi (veille du Sabbat) ; la veille de Pâque (14 du mois de nisan, « jour de la préparation »), précise Jean (Jean 19, 14). Trois années seulement remplissent toutes ces conditions : 30, 33 et 36. La majorité des spécialistes retiennent la première date : en le faisant naître en 4 av. J.-C., Jésus aurait eu trente-trois ou trente-quatre ans au moment de sa crucifixion. En retenant la troisième, il aurait eu trente-neuf ou quarante ans. Mais il est probable que Jésus ait été plus âgé encore car, pour peu que l’on retienne quelque chose des données mathéennes, il serait né au plus tard et non pas au plus tôt en 4 avant notre ère. D’autres données, présentes chez Jean, laissent d’ailleurs supposer un âge plus avancé :

« Jésus leur répondit : Détruisez ce sanctuaire et en trois jours je le relèverai. » Les Juifs lui dirent alors : « Il a fallu quarante-six ans pour bâtir ce sanctuaire, et toi, en trois jours tu le relèveras ? » Mais lui parlait du sanctuaire de son corps. Aussi, quand il ressuscita d’entre les morts, ses disciples se rappelèrent qu’il avait dit cela, et ils crurent à l’Écriture et à la parole qu’il avait dite. » 

Jean 2, 19-22. 

Qu’il soit ou non authentique, cet échange entre Jésus et ses détracteurs – qui survient immédiatement après l’épisode des marchands du Temple – peut être daté avec précision. Nous savons, en effet, que les grands travaux de reconstruction du Temple de Jérusalem, ordonnés par Hérode, débutèrent en 19 av. J.-C. et qu’ils se poursuivirent jusque vers 62-64 apr. J.-C. Si l’on part de l’année 19 av. J.-C. et qu’on y ajoute les « quarante-six ans » (de chantier) mentionnés par Jean, on arrive à l’année 28 apr. J.-C. C’est l’année même où, selon Luc, le Baptiste commence à prêcher. L’épisode des marchands se situe au début de l’Évangile de Jean. Le ministère de Jésus en est à ses débuts. Le point intéressant, pour nous, est que dans ce passage, l’évangéliste établit un parallèle étroit entre Jésus et le sanctuaire. Jouant sur un quiproquo, il précise, d’une part, qu’il a fallu quarante-six ans pour bâtir l’édifice et, d’autre part, que Jésus parle, lui, « du sanctuaire de son corps », c’est-à-dire non pas directement du Temple mais de lui-même. Ce faisant, veut-il laisser également entendre que ces quarante-six années correspondent pareillement à l’âge que Jésus aurait eu à ce moment précis ? Dans cette hypothèse, Jésus serait né en 19 av. J.-C., l’année même où les travaux du Temple ont débuté. Mais si ces 46 années devaient plutôt se rapporter à l’âge qu’il avait au moment de sa mort et de son relèvement (30, 33 ou 36), il serait alors né en 17, en 14 ou en 11 av. J.-C. (année du passage de la comète de Halley). 

Un autre échange, également rapporté par Jean, entre Jésus et ses détracteurs, vient étayer cette lecture. Jésus dit en effet : 

« Abraham, votre père, exulta à la pensée qu’il verrait mon Jour. Il l’a vu et fut dans la joie. » Les Juifs lui dirent alors : « Tu n’as pas cinquante ans et tu as vu Abraham ! » Jésus leur dit : « En vérité, en vérité, je vous le dis, avant qu’Abraham existât, Je Suis. » Ils ramassèrent alors des pierres pour les lui jeter ; mais Jésus se déroba et sortit du Temple. » 

Jean 8, 56-59.

Nous cédons ici la parole à Irénée de Lyon (vers 180 apr. J.-C.), l’un des premiers hérésiologues, qui se fait l’écho d’une tradition censée remonter aux apôtres. Il écrit :

« S’il n’avait que trente ans lorsqu’il vint au baptême, il avait l’âge parfait d’un maître lorsque, par la suite, il vint à Jérusalem, de telle sorte qu’il pouvait s’entendre appeler maître par tous : car il n’était pas autre chose que ce qu’il paraissait, comme le disent les docètes, mais, ce qu’il était, il le paraissait aussi. Étant donc maître, il avait aussi l’âge d’un maître […] Les hérétiques […] enlèvent à celui-ci la période la plus nécessaire et la plus honorable de sa vie, je veux dire celle de l’âge avancé, pendant laquelle il a été le guide de tous par son enseignement. Car comment aurait-il eu des disciples, s’il n’avait pas enseigné ? Et comment aurait-il pu enseigner s’il n’avait pas eu l’âge d’un maître ? […] Ce n’est qu’à partir de la quarantième, voire la cinquantième que l’on descend vers la vieillesse. C’est précisément cet âge-là qu’avait notre Seigneur lorsqu’il enseigna : l’Évangile l’atteste, et tous les presbytres d’Asie qui ont été en relations avec Jean, le disciple du Seigneur, attestent eux aussi que Jean leur transmit la même tradition, car celui-ci demeura avec eux jusqu’aux temps de Trajan. Certains de ces disciples n’ont pas vu Jean seulement, mais aussi d’autres apôtres, et ils les ont entendus rapporter la même chose et ils attestent le fait.

Il n’est pas jusqu’aux Juifs disputant avec le Seigneur Jésus-Christ qui n’aient clairement indiqué la même chose. Quand en effet le Seigneur leur dit : « Abraham, votre père, a exulté à la pensée de voir mon jour ; il l’a vu, et il s’est réjoui », ils lui répondirent : « Tu n’as pas encore cinquante ans, et tu as vu Abraham ? » Une telle parole s’adresse normalement à un homme qui a dépassé déjà la quarantaine et qui, sans avoir encore atteint la cinquantaine, n’en est cependant plus très loin. Par contre, à un homme qui n’aurait eu que trente ans, on aurait dit : « Tu n’as pas encore quarante ans. » Car, s’ils voulaient le convaincre de mensonge, ils devaient se garder d’outrepasser de beaucoup l’âge qu’on lui voyait : ils donnaient donc un âge approximatif, soit qu’ils aient connu son âge véritable par les registres de recensement, soit qu’ils aient conjecturé son âge en voyant qu’il devait avoir plus de quarante ans et, en tout cas, sûrement pas trente […] Le Seigneur n’était donc pas de beaucoup éloigné de la cinquantaine. » 

Contre les Hérésies, II, xxii, 4-6. 

On notera que ce passage ne figure pas dans la traduction d’Antoine Eugène de Genoude (1838) du fait de la censure (!)[2]. Deuxième évêque de Lyon (successeur de Photin, mort martyr), Irénée était le disciple de l’évêque de Smyrne Polycarpe (né en 69 apr. J.-C.) qui fut contemporain des apôtres et disciple de Jean. Ses propos sont non seulement logiques mais ils s’appuient sur une tradition qu’il présente comme étant héritée des apôtres. 

D’une analyse critique de la documentation dont nous disposons, il ressort qu’à la fin de son ministère, Jésus avait très vraisemblablement un âge compris entre quarante et cinquante ans. Sans doute plus de quarante-cinq et moins de cinquante ans. Peut-être bien quarante-six… 

Nota Bene : L’homme dont l’image figure sur le Suaire de Turin avait certainement lui aussi et quoi qu’en ait dit – plus de quarante ans. Or, au Moyen âge, qui est l’époque à laquelle le linceul est censé avoir été fabriqué, l’idée dominante (voire unanime) était que Jésus était mort à l’âge de trente-trois ans. Comment, dès lors, un faussaire aurait-il pu utiliser ou représenter un homme de plus de quarante ans pour figurer le Christ ? Un argument supplémentaire en faveur de son authenticité ?

Thierry Murcia, Février 2004 (revu 2018).


[1] Thierry Murcia, Jésus, les miracles élucidés par la médecine, Paris, Carnot, 2004, p. 219.

[2] Les Pères de l’Église, t. III, Paris, 1838, p. 165-166.

 

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