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Recherches historiques autour de la Bible, de Jésus et des premiers chrétiens

Jésus était-il marié ?

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Les Noces de Cana, détail (Véronèse, 1562-1563)

XXXIV

Jésus était-il marié ?

 

Extrait de : Thierry Murcia, Marie-Madeleine : l’insoupçonnable vérité ou Pourquoi Marie-Madeleine ne peut pas avoir été la femme de Jésus, Propos recueillis par Nicolas Koberich[1], La Vie des Classiques (éditions les Belles Lettres), 2017, p. 87-92.

 

-          Votre explication est probante. Nombreux sont pourtant les scientifiques qui disent que Jésus était marié. Mais ce sont ceux, évidemment, que cette perspective ne gêne pas d’un point de vue confessionnel…

-          Vraiment ? Alors citez-moi un seul document antique (authentique), qu’il soit d’origine juive, chrétienne, gnostique (exit Marie-Madeleine…) ou païenne, qui attribue une compagne à Jésus !

-          Je n’en connais pas.

-          Car il n’y en a pas. Les témoins les plus anciens – Tatien, Tertullien, Clément d’Alexandrie, Méthode d’Olympe… sont catégoriques. Pour eux, Jésus était célibataire.

-          Mais ce sont des auteurs chrétiens. Leur témoignage est non seulement tardif mais orienté.

-          Peut-être bien. Mais, en attendant, ce sont aussi les représentants de la tradition la plus ancienne ! Une tradition à laquelle aucun auteur ancien, d’ailleurs, y compris parmi les plus farouches adversaires du christianisme, n’a jamais songé à opposer un démenti…

-          On s’accorde pourtant aujourd’hui pour dire que c’était alors une obligation pour tout Juif que de prendre une épouse et d’avoir des enfants !

-          Vous voulez bien sûr parler des prescriptions rabbiniques ?

-          Oui. Le célibat était condamné par les rabbins.

-          Vous avez raison : et l’absence de descendance, si elle était volontaire, était regardée comme une faute. On lit aussi dans le Talmud qu’un homme doit se marier entre seize et vingt-quatre ans et, de préférence, entre dix-huit et vingt ans. Mais ces prescriptions sont elles aussi tardives.

-          Elles n’étaient pas encore en vigueur du temps de Jésus ?

-          Non seulement elles ne l’étaient pas mais ce sont ces mêmes sources rabbiniques qui témoignent que, même dans le judaïsme postérieur à la destruction du Temple (70 de notre ère), le célibat était encore couramment pratiqué. Le Talmud est contraint d’en tenir compte dans sa législation et plus d’un rabbin, dont les noms nous ont été conservés, étaient alors concernés.

-          Et, selon vous, les rabbins ne condamnaient pas le célibat ?

-          Cela dépend de quelle époque on parle. Dans la littérature talmudique, on trouve aussi bien des textes qui condamnent le célibat que d’autres qui louent les mérites du rabbin célibataire et chaste. En fait, la pensée rabbinique, héritière du pharisaïsme, a considérablement évolué entre le ier siècle et le début du Moyen âge. Ce sont surtout les rabbins de Babylone (qui composent leur corpus entre le vie siècle et la fin du viiie siècle) qui discréditent le célibat.

-          Et qu’en est-il exactement du temps de Jésus ?

-          Il convient tout d’abord d’observer que si le « judaïsme » que nous connaissons aujourd’hui se ramène peu ou prou au « rabbinisme», les choses étaient très différentes au ier siècle de notre ère.

-          Il existait plusieurs courants de pensée ?

-          Exactement. Avant la destruction du Second Temple, le judaïsme était éminemment pluriel et il se déclinait en plusieurs « sectes » : Pharisiens, Sadducéens, Esséniens, Baptistes, Thérapeutes… pour ne parler que des plus connues. Non seulement aucune n’exerçait une forme de monopole mais la plupart des Juifs n’adhéraient sans doute à aucune d’elles.

-          Et sur la question du célibat ?

-          Il n’y avait pas consensus. Les avis pouvaient considérablement diverger d’un mouvement à l’autre, voire au sein d’un même mouvement.

-          Donc le célibat était peut-être condamné par certains ?...

-          Je suis prêt à l’admettre. Mais qu’on me cite alors un seul document de l’époque qui le déconsidère !

-          Il n’y en a pas ?

-          Moi, en tout cas, je n’en connais aucun. C’est le contraire qu’on observe : dans toutes les sources anciennes qui s’y rapportent, il est mis à l’honneur. Voyez Philon d’Alexandrie qui en loue les mérites. Voyez les Thérapeutes qui sont présentés comme un modèle de sainteté par le même philosophe. Voyez les Esséniens : la plupart vivaient dans le célibat le plus strict et ils sont toujours décrits avec admiration, aussi bien par les auteurs païens de l’époque que par les auteurs juifs.

-          C’est vrai. Le célibat des Esséniens est un fait bien connu.

-          Mais voyez également ces deux ascètes que sont l’ermite Bannous, un des maîtres de Flavius Josèphe, ou bien encore Jean le Baptiste. Si je déclare que l’un et l’autre étaient visiblement célibataires va-t-on également m’opposer ces fameuses prescriptions rabbiniques qui condamnent le célibat ?

 

[1] Docteur ès Lettres et écrivain.

 

-          Sans doute pas…

-          Notez bien qu’au ier siècle, les adversaires du Baptiste sont minoritaires. Jean passe alors pour un prophète, « un homme juste et saint » aux yeux de la plupart de ses contemporains. Jésus en parle même comme du « plus grand parmi les enfants des femmes » et le présente comme un « nouvel Élie ». Or Élie, justement, de même que son disciple Élisée, étaient connus dans l’ancienne tradition pour être demeurés célibataires. Et, si certains Juifs de son temps s’interrogent pour savoir si le Baptiste ne serait pas le Messie, aucun ne songe, en revanche, à lui faire grief de son mode de vie.

-          Mais n’est-ce pas, en fin de compte, l’apôtre Paul qui a introduit le célibat dans le christianisme ?

-          Paul était d’obédience pharisienne. Il n’introduit aucune nouveauté. Il n’est que l’héritier d’une certaine philosophie de vie. Voyez d’ailleurs l’auteur de l’Apocalypse qui n’a visiblement aucun lien avec Paul. Lui aussi fait pourtant clairement l’apologie de la virginité masculine. Voyez également ce que, selon Matthieu, Jésus lui-même dit : « Il y a des eunuques qui se sont eux-mêmes rendus tels à cause du Royaume des Cieux ». De tels propos sonnent clairement comme une apologie de la chasteté et donc du célibat. Ils ne sont pas nés de rien mais sont dans l’air du temps : « Mieux vaut ne pas avoir d’enfants et posséder la vertu », lit-on dans le livre de la Sagesse de Salomon, un écrit rédigé à peine quelques décennies avant la naissance du christianisme.

-          D’après les évangiles, Jésus était suivi par un groupe de femmes. Ne peut-on supposer que l’une d’elle ait été sa compagne ?

-          On peut bien imaginer ce qu’on veut. Mais, le cas échéant, elle resterait une illustre inconnue. Car, hormis sa propre mère, toutes celles qui sont nommées ont déjà un époux, Salomé y compris. Il semble au contraire assez clair que la vie que Jésus mène alors n’est pas compatible avec une vie conjugable. À la question bien connue de Jésus, adressée aux disciples : « Au dire des gens, qu’est le Fils de l’homme ? », ceux-ci lui répondent sans ambages : « Pour les uns, Jean le Baptiste ; pour d’autres, Élie ; pour d’autres encore, Jérémie ou quelqu’un des prophètes ».

-          Et alors ?

-          Et alors ce passage, en apparence anodin, est en réalité capital. Il nous livre un indice indirect, mais déterminant, qui a complètement échappé jusqu’ici à la critique…

-          Lequel ?

-          Ces trois prophètes, à qui Jésus est ici spontanément identifié, n’ont pas été pris au hasard. Tous trois, selon l’opinion commune de l’époque, étaient demeurés célibataires. Et il en est de même d’Élisée, à qui Jésus lui-même se compare en un autre endroit.

-          Peut-être une simple… coïncidence ?

-          Voilà un mot qui vous est cher !

-          Je me fais seulement l’avocat du diable.

-          Il est bien évident que c’est le mode de vie alors adopté par Jésus qui amène ces comparaisons ! L’opinion de ses contemporains ne se fonde naturellement que sur ce dont eux-mêmes sont témoins. Comment d’ailleurs, après la mort de Jean, un homme ayant charge de famille aurait-il pu passer pour le Baptiste ressuscité ? Qu’on le veuille ou non, au ier siècle, l’ambiance prophétique et messianique est incontestablement au célibat…

-          Ce qui revient à dire que Jésus n’a jamais eu d’épouse ?

-          Tous les éléments directs et indirects dont nous pouvons disposer sur le personnage de Jésus, ainsi que sur le contexte historique et socioculturel dans lequel il se situe, incitent à penser que Jésus n’était pas marié. Et c’est également ce que laisse entendre la tradition la plus ancienne. Aussi, même si ce n’est pas la seule option envisageable, c’est historiquement celle qui paraît, pour l’heure, la plus vraisemblable. Mais un dernier élément doit encore être pris en compte : on pouvait parfois rester longtemps célibataire avant de prendre femme. À ce titre, les règlements rabbiniques qui établissent qu’un homme doit se marier autour de ses vingt ans sont davantage l’expression d’une volonté visant à établir une norme que le reflet d’une réalité vécue. Plusieurs sources indiquent au contraire que l’âge idéal, pour un homme, était compris entre trente et quarante ans. Ainsi peut-on lire dans un autre écrit rabbinique :

 

Il est courant qu’un homme épouse une femme à l’âge de trente ou quarante ans.

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