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Recherches historiques autour de la Bible, de Jésus et des premiers chrétiens

Qu’est devenue l’Arche d’Alliance ? (3/3)

Les Aventuriers de lArche perdue (1981)

Qu’est devenue l’Arche d’Alliance ? (3/3)

Selon une tradition rabbinique, c’est le roi de Juda (c. 638-608 av. J.-C.) qui, plusieurs années avant la destruction du Temple, aurait dissimulé l’Arche d’Alliance :

 

« Quand vint Josias il cacha l’Arche, le vase de la manne et celui de l’huile, la verge d’Aaron et la cassette. »

 

Tosefta, Sota, XIII, 1.

 

« En même temps que l’Arche sainte fut enfouie, on cacha le récipient de la manne, le flacon d’huile d’onction des prêtres, le bâton du pontife Aaron, et les ornements en forme de fleur et de boutons du chandelier, ainsi qu’une boîte restituée par les Philistins en hommage au Dieu d’Israël.

Cet enfouissement a été opéré par Josias ; car, dès qu’il lut le verset disant : “l’Éternel te mènera avec le roi que tu auras proclamé auprès d’une nation que ni toi, ni tes ancêtres n’ont connue” (Deutéronome XXVIII, 36), il mit ces objets à l’abri sous terre. »

 

Talmud de Jérusalem, Sheqalim, VI, 1.

 

La Mishna nous fournit les précisions suivantes concernant la localisation de cette supposée cache souterraine :

 

« Dans la famille de Rabbi Gamaliel et dans celle de Rabbi Hanania, le président des cohanim [prêtres], on se prosternait quatorze fois. Où avait lieu cette dernière génuflexion supplémentaire ? En face de la cellule au bois ; car il était de tradition paternelle chez eux qu’en cet endroit l’Arche de l’Alliance était enfouie.

En effet, un cohen [prêtre] étant un jour occupé là, remarqua que le dallage n’avait pas le même aspect que les autres pièces. Il vint raconter le fait à son compagnon ; mais, avant qu’il eût achevé son récit, il rendit l’âme. On en conclut dès lors avec certitude que l’Arche s’y trouvait sous terre. »

 

Mishna, Sheqalim, VI, 1-2.

 

Le Talmud de Jérusalem rapporte la même tradition[1] :

 

« Des rabbins disent que l’Arche était enfouie sous la cellule du magasin au bois.

Comme il était arrivé un jour, à un cohen atteint d’un défaut corporel [par conséquent inapte à exercer son office au sanctuaire], de fendre du bois dans cette pièce sur le sol, il remarqua en un endroit la bizarrerie du dallage. Il alla faire part de son observation à un compagnon ; mais, avant d’avoir achevé son récit, il rendit l’âme, et dès lors on sut avec certitude que l’Arche de l’Alliance était enfouie là. On dit encore au nom de Rabbi Oshia qu’il frappa avec un marteau sur cette dalle, qu’une étincelle jaillit et le consuma. »

 

Talmud de Jérusalem, Sheqalim, VI, 1.

 

Une autre tradition, rapportée par Rabbi Simon Ben Lakish, prétend au contraire que l’Arche aurait été enfouie dans le sol même du Temple (Ibid.). Mais ces récits légendaires qui mettent en scène tantôt le roi de Juda, tantôt le prophète Jérémie s’accordent difficilement avec le texte biblique. D’après la Bible, en effet, c’est le même roi Josias qui, après avoir rétabli les prêtres de Jérusalem dans leurs offices, aurait décidé de remiser à titre définitif l’Arche dans le Temple (II Chroniques XXXV, 2-3). Quant à Jérémie censé lui aussi avoir dissimulé l’Arche jusqu’au rassemblement d’Israël le livre qui porte son nom lui attribue cette prophétie :

 

« Et quand vous vous serez multipliés et que vous aurez fructifié dans le pays, en ces jours-là oracle de Yahweh on ne dira plus : “Arche de l'alliance de Yahweh” ; on n’y pensera plus, on ne s’en souviendra plus, on ne s’en préoccupera plus, on n’en construira plus d’autre. »

 

Jérémie III, 16.

 

Le point important est que les Sages du Talmud étaient unanimes pour dire qu’au retour de Babylone, l’Arche n’était plus présente dans le Temple (Yoma, 52b). Le traité Yoma du Talmud de Babylone rapporte un échange assez long sur cette question du devenir de l’Arche. La tradition de l’enfouissement par le roi Josias y est également rapportée. Mais, ainsi que les scribes du Talmud le font observer, la Mishna – rédigée plusieurs centaines d’années plus tôt (c. 200-220 apr. J.-C.) – ne dit pas que « l’Arche sainte avait été enfouie » mais qu’elle « avait été emportée » (Mishna, Yoma, V, 2). En effet :

 

« La Mishna ne dit pas : depuis que l’Arche sainte avait été enfouie, mais littéralement depuis qu’elle avait été emportée. Notre Mishna suit l’avis de celui qui dit que l’Arche sainte a été exilée à Babylone, car il est enseigné dans une Baraïta [tradition rabbinique ancienne parallèle à la Mishna] : Rabbi Éliézer dit : l’Arche sainte a été exilée à Babylone, ainsi qu’il est dit : “Au retour de l’année nouvelle, le roi Nabuchodonosor le fit amener à Babylone avec les objets précieux de la Maison de l’Éternel (II Chroniques XXXVI, 10)”. Rabbi Shimon fils de Yo’haï dit lui aussi : l’Arche sainte a été exilée à Babylone, ainsi qu’il est dit : “(il viendra des jours où l’on emportera en Babylonie…) il n’en restera rien, dit l’Éternel (Isaïe XXXIX, 6).” Ce sont les Tables du Décalogue qui sont à l’intérieur de l’Arche sainte. »[2]

 

Talmud de Babylone, Yoma, 53b.

 

En accord avec la Mishna et Rabbi Shimon, Rabbi Éliézer défendait également l’opinion plus vraisemblable, d’un point de vue historique et biblique, que l’Arche avait été emmenée à Babylone après le sac du Temple. Citant les Écritures : « Au retour de l’année, le roi Nabuchodonosor envoya et le fit amener à Babel avec les vases les plus précieux de la maison », il concluait : « Ce qui se rapporte évidemment à l’Arche Sainte » (Talmud de Jérusalem, Sheqalim, VI, 1).

 

Force est toutefois de reconnaître qu’un passage de la Bible aurait pu être invoqué en faveur de la thèse d’une Arche demeurée sur place. On peut lire, en effet, dans le 2e Livre des Chroniques :

 

« Les chérubins étendaient leurs ailes au-dessus de l’emplacement de l’arche et abritaient l’arche et ses barres. Celles-ci étaient assez longues pour qu’on vît leur extrémité en prolongement de l’arche, devant le Debir, mais pas en dehors de là ; elles y sont restées jusqu’à ce jour. Il n’y avait rien dans l’arche, sauf les deux tables que Moïse y déposa à l’Horeb, lorsque Yahweh avait conclu une alliance avec les Israélites à leur sortie d’Égypte. »

 

II Chroniques V, 8-10.

 

Le Chroniste, qui écrit après 330 apr. J.-C., soit plus de deux cents ans après la destruction du Temple par Nabuchodonosor (587 av. J.-C.) et le retour d’exil des Juifs sous Cyrus (peu après 539 av. J.-C.), dit de l’Arche et de ses barres de transport : « Elles y sont restées [dans le Temple] jusqu’à ce jour. » Une affirmation, tardive et isolée, qui semble être en complète dissonance avec les passages bibliques étudiés plus haut. L’explication est toutefois assez simple.  Nous l’empruntons à l’illustre Dictionnaire de la Bible de Fulcran Vigouroux publié voici déjà plus dun siècle :

 

« Il est vrai qu’au second livre des Paralipomènes[3], V, 9, le chroniqueur, qui est probablement Esdras, dit de l’arche : Elle fut là jusqu’au jour présent.” Mais tout le monde reconnaît que l’auteur a puisé à des sources diverses, et a inséré dans son œuvre des documents antérieurs. La remarque qui précède doit appartenir à un de ces documents, écrit avant la captivité et cité mot à mot, tel que le rédacteur des Paralipomènes l’a trouvé dans ses sources. »[4]

 

De fait, le Chroniste n’a fait ici que reproduire – quasiment à l’identique – un passage complet du 1er Livre des Rois. Le verset 9 de II Chroniques V (qui contient la fameuse précision : « elles y sont restées jusqu’à ce jour ») est identique exactement à un mot près, en hébreu au verset 8 de I Rois VIII, une de ses principales sources. Mais, quand le Chroniste reproduit ces lignes (après 330 apr. J.-C.), l’Arche d’Alliance ne se trouve plus dans le Temple (qui a été reconstruit entretemps) depuis plus de deux siècles. Le Saint des Saints du nouveau sanctuaire, édifié entre 537 et 515 av. J.-C., demeure vide. Et il le restera jusqu’à la destruction définitive de l’édifice par Titus en 70 apr. J.-C.[5]

 

Quoi qu’il en soit, il n’existe bien évidemment aucune preuve historique de la destruction de l’Arche. Mais nous n’avons, à ce titre, pas davantage de preuve que l’objet ait jamais eu de réelle existence. Celui-ci, en effet, ne pourrait-il pas tout aussi bien n’être que le fruit de l’imagination des rédacteurs bibliques ? L’historien, qui toujours s’efforce de trouver un point d’équilibre, n’ira pas jusque-là. Aussi, l’hypothèse la plus vraisemblable est-elle que l’Arche d’Alliance a été détruite par les armées de Nabuchodonosor au moment du sac de Jérusalem entre 600 et 587 av. J.-C. Mais libre à chacun d’imaginer qu’elle n’a jamais quitté le Temple et qu’elle s’y trouve toujours, dissimulée dans le sol…

 

Thierry Murcia 2001 (Corrections 2005 - revu 2018)


[1] On la trouve également, avec des variantes, dans le Talmud de Babylone (Yoma, 54a).

[2] La suite du texte (Yoma, 53b et 54 a) redonne l’opinion (déjà mentionnée) d’autres rabbins qui tiennent que l’Arche n’a pas été ôtée du Temple mais qu’elle y a été enfouie.

[3] Autre nom des Chroniques, d’après la version grecque des Septante (et adopté par la Vulgate).

[4] Dictionnaire de la Bible, Éditions Letouzey et Ané, Paris, 1912, article Arche d’Alliance, T. I, 1re partie, col. 921.

[5] Pour les Juifs chrétiens du ier siècle, le Temple de Jérusalem et l’Arche d’Alliance n’étaient que les reproductions terrestres du Temple et de l’Arche véritables qui, eux, se trouvent au Ciel : « Alors s’ouvrit le temple de Dieu, dans le ciel et son arche d’alliance apparut, dans le temple ; puis ce furent des éclairs et des voix et des tonnerres et un tremblement de terre, et la grêle tombait dru… » (Apocalypse XI, 19).

Début de larticle (1/3) :

Milieu darticle (2/3) :

Voir également :

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