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Recherches historiques autour de la Bible, de Jésus et des premiers chrétiens

Rennes le château - Conférence : Jésus, les miracles élucidés par la médecine ? (5/6)

Guérison de la femme victime d'un flux de sang - Mosaïque, première moitié du VIe siècle. Basilique Saint- Apollinaire-le-Neuf de Ravenne

Guérison de la femme victime d'un flux de sang - Mosaïque, première moitié du VIe siècle. Basilique Saint- Apollinaire-le-Neuf de Ravenne

Rennes le château

Conférence :

Jésus, les miracles élucidés par la médecine ? (5/6)

 

Jésus était-il médecin ? (4e Partie)

 

Jésus, de son vivant, était considéré par certains de ses contemporains comme un « rabbin », et il est plusieurs fois appelé rabbi dans les évangiles, ce qui signifie Maître. Mais cela ne nous renseigne pas sur son activité professionnelle dans la mesure où tous les rabbins exerçaient aussi un métier. Qui plus est, celui qui n’exerçait aucun métier, qu’il soit rabbin ou non, était considéré comme un parasite. Si Jésus, durant son ministère, était demeuré oisif, ses ennemis n’auraient donc pas manqué de lui en faire le reproche et on trouverait alors la trace dans les évangiles. Mais Jésus n’était-il pas charpentier comme son père ?

 

Une seule fois, dans les synoptiques, Jésus et son père sont qualifiés de « charpentiers » dans nos traductions : en Marc 6 : 3 et en Matthieu 13 : 55. Mais on peut se demander – lorsqu’on lit les évangiles – à quel moment Jésus aurait-il bien pu trouver le temps d’exercer cette activité ? Jamais, d’ailleurs, dans le texte sacré, on ne voit Jésus travailler le bois ni même y faire la moindre allusion, ne serait-ce que dans ses paraboles. L’essentiel de son activité, en effet, se résume à : enseigner, soigner et guérir. Aussi convient-il de s’interroger sur le sens exact, dans le grec des rédacteurs évangéliques, du mot rendu dans nos traductions par « charpentier » (et par carpenter, dans les traductions en anglais). En réalité, le substantif tektôn, présent chez Marc et Matthieu, est un terme générique qui permet de désigner tout type d’artisan (cf. « architecte ») et plus spécialement celui qui excelle dans une activité donnée. Son sens précis dépend, en fait de même que dans la Septante du contexte dans lequel il est utilisé. Le tektôn qui travaille le bois est un menuisier ; celui qui travaille le fer, un forgeron.

 

Chez les auteurs classiques, tektôn peut même permettre de désigner un médecin qui excelle. Or, dans les évangiles justement, le substantif tektôn est appliqué à Jésus dans un contexte « médical » : celui-ci, en effet, soigne et guérit des malades. Le verbe grec therapeuô, utilisé par les évangélistes pour désigner sa principale occupation, a cette double signification : « soigner » et/ou « guérir ». Jésus pratique « des soins » et guérit les personnes venues le trouver.

 

Nous lisons chez Marc : « Qu’est-ce que cette sagesse qui lui a été donnée et ces grands miracles qui se font par ses mains ? Celui-là n’est-il pas le tektôn ?... » (Marc 6 : 2-3). Quoique les évangiles nous soient parvenus en grec, nous avons à faire ici à du discours rapporté. Ce sont les compatriotes contemporains de Jésus qui, en effet, s’interrogent en l’occurrence à son sujet. Dans la mesure où l’araméen était alors la langue parlée en Galilée à cette époque, ces propos ont donc originellement été prononcés dans cette langue et il nous faut dès lors remonter à l’araméen sous-jacent. Si, en araméen, un « artisan du bois », un « menuisier, » se dit naggar, c’est le substantif oumân qui permet de désigner tout type d’artisan. L’oumân, en araméen comme en hébreu, est celui qui travaille avec les mains. À ce titre, le substantif permet de désigner aussi bien un artisan qu’un médecin\chirurgien. Cela n’est pas surprenant dans la mesure où l’activité médicale et chirurgicale était alors essentiellement manuelle et était considérée comme artisanale. Pour rappel, le terme « chirurgien » désigne étymologiquement « celui qui travaille avec les mains ».  Connaissances et savoir-faire étaient alors transmis de père à fils ou de maître à disciple et étaient le plus souvent entourés du secret le plus absolu. Dans le cas de Jésus, il paraît en tout état de cause bien plus vraisemblable que, par oumân, ses compatriotes, témoins directs ou indirects de son activité de guérisseur, entendaient « praticien » plutôt que « charpentier ». Dans les évangiles, soigner et guérir les malades reste bien, en effet, l’essentiel de son activité.

 

Jésus lui-même d’ailleurs – et à plusieurs reprises – se compare à un médecin : « Ce ne sont pas ceux qui se portent bien qui ont besoin de médecin, mais les malades » (Matthieu 9 : 12…), rétorque-t-il à ceux qui lui reprochent de côtoyer le petit peuple. L’Évangile de Thomas lui attribue même ces paroles : « Un prophète n’est pas reçu dans sa ville, et un médecin n’opère point de guérison sur ceux qui le connaissent » (Logion, 34). Quand, à l’évocation des opérations accomplies « par ses mains », ses compatriotes s’exclament à son sujet : « N’est-ce pas le tektôn [oumân]… le fils du tektôn [oumân] ? » (Marc 6 : 2-3 ; Matthieu 13 : 54-55), Jésus répond, chez Luc, qui relate la même scène : « Sans doute vous m’appliquerez ce proverbe : Médecin, guéris-toi toi-même » (Luc 4 : 22-23). Ce qui montre assez que par tektônoumân en araméen – les rédacteurs évangéliques entendaient autre chose qu’un simple « charpentier ».

 

Ajoutons, pour faire bonne mesure, que si le surnom même de « sauveur » attribué à Jésus – sôter en grec – était celui que l’on donnait autrefois aux dieux guérisseurs (comme Asclépios ou Sérapis), on appelait également « sauveurs » les meilleurs d’entre les médecins. Le salut était alors tout autant celui du corps que de l’âme et le véritable « sauveur » était celui qui se montrait capable d’assurer les deux. De même, le verbe sôzô a le double sens, en grec, de sauver et de guérir, le salut passant souvent par la guérison[1]. C’est, avec therapeuô (soigner, guérir) et iaomai (mêmes sens), l’un des verbes utilisés par les évangélistes en relation avec l’activité thérapeutique de Jésus. À noter, enfin, que le verbe hébreu yasha, qui signifie « sauver », a le même sens que le verbe grec sôzô, et que le nom de « Jésus », Yêshoua, formé sur la même racine, signifie « Dieu sauve » en hébreu. Le nom même de « Jésus » est donc synonyme de « Sauveur » et peut également s’entendre au sens de « guérisseur ». Si, comme nous le pensons, Joseph, son père, était lui aussi médecin (tektôn/oumân : Matthieu 13 : 55), le choix de ce nom donné à son aîné a dû s’imposer à lui comme une évidence. Il n’est pas inintéressant d’observer qu’Isaïe (Yeshâyahou, en hébreu) et Jésus (Yêshoua) sont deux variantes d’un même nom. Comme « Jésus », « Isaïe » a le double sens de sauveur et de guérisseur. Or nous savons que ce prophète avait lui aussi des connaissances médicales…

 

Sauveur et Médecin étaient autrefois synonymes et Jésus est appelé ainsi de nombreuses fois dans les écrits des Pères de l’Église des premiers siècles : « Il a fallu que le sauveur vînt, lui, le véritable médecin, qui guérit gratuitement », s’exclame Macaire l’Ancien. Jésus, longtemps présenté comme un artisan du bois, est alors perçu comme « le médecin des corps et des âmes ». Mais les récits de guérisons évangéliques prennent un tout autre sens si celles-ci ont été accomplies, non par un charpentier, mais par un praticien patenté...

 

(à suivre)

 

[1] De même en copte, en latin (salus), en italien (salute) et en espagnol (salud), un même mot signifie à la fois « salut » et « santé ».

Suite et fin de larticle (6/6) :

Partie précédente de larticle (4/6) :

Voir également :

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