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Recherches historiques autour de la Bible, de Jésus et des premiers chrétiens

Rennes le château - Conférence : Jésus, les miracles élucidés par la médecine ? (6/6)

1) Le bâton de Moïse et le serpent d'airain guérisseur -  Panneau de l'autel de la Vierge, Chapelle Notre-Dame du Kreisker / 2) Le dieu de la médecine Asclépios et son "caducée" (bâton + serpent)
1) Le bâton de Moïse et le serpent d'airain guérisseur -  Panneau de l'autel de la Vierge, Chapelle Notre-Dame du Kreisker / 2) Le dieu de la médecine Asclépios et son "caducée" (bâton + serpent)

1) Le bâton de Moïse et le serpent d'airain guérisseur - Panneau de l'autel de la Vierge, Chapelle Notre-Dame du Kreisker / 2) Le dieu de la médecine Asclépios et son "caducée" (bâton + serpent)

Jean 3, 14 : « Comme Moïse éleva le serpent dans le désert, ainsi faut-il que soit élevé le Fils de l’homme »

 

Pour Jean l’évangéliste, Jésus, du haut de sa croix, est le nouveau serpent qui guérit du haut de sa perche. Jésus forme, avec et par le bois de la croix, le caducée divin, le bâton par lequel Dieu guérit l’humanité.

Rennes le château

Conférence :

Jésus, les miracles élucidés par la médecine ? (6/6)

 

Conclusion

 

En définitive, le ministère proprement thérapeutique de Jésus peut se déduire de nombreux indices dont les principaux sont :

 

Les gestes effectués et les remèdes utilisés :

 

Chaque fois qu’un évangéliste nous a conservé des détails concernant les guérisons opérées par Jésus, on constate que les gestes effectués, le traitement, ont un caractère médical. Les termes employés, de même, sont des termes médicaux. C’est également ce qui ressort de la confrontation de nos récits avec d’autres récits de miracles thérapeutiques : ceux attribués aux prêtres-médecins des temples d’Asclépios par exemple. Le lexique (therapeuô, « soigner », « traiter médicalement », ekteinô, « étendre »…), les opérations et les remèdes (extension, huile, boue, salive…) sont identiques à ceux utilisés par les médecins de la même époque.

 

Les choix de traduction :

 

Les évangiles sont rédigés en grec et le choix de traduction, qui oriente la compréhension du texte, peut parfois aboutir à des contresens. Certains termes comme paralytikos et lepros, par exemple, ne correspondent pas en français aux noms paralytique et lépreux. Dans les évangiles, un paralytikos peut simplement désigner une personne victime d’une luxation ou d’une asthénie, par exemple. De même, lepra désigne, en grec, tout type de maladie de peau. Ces termes ont un sens beaucoup plus large, en grec, que ceux traditionnellement retenus dans nos traductions et s’appliquent également à des affections plus bénignes. De la même façon, le verbe therapeuô peut signifier « soigner » (cf. therapeia : « soin », « traitement médical ») ou « guérir ». Mais quand il est appliqué à Jésus, les traducteurs le rendent systématiquement par « guérir ». On lit en Siracide 18 : 19 : « Avant de parler, instruis-toi, avant d’être malade, soigne-toi » (verbe therapeuô traduit logiquement ici par « soigner »). Mais on trouve en Matthieu 12 : 10, cette question adressée à Jésus par les pharisiens qui l’observent : « Est-il permis de guérir le jour du sabbat ? » C’est également le verbe therapeuô qui est employé ici. Mais, en l’occurrence, cette question posée à Jésus, ainsi traduite, n’offre aucun sens dans la mesure où, d’une part, la guérison est du seul ressort de Dieu (c’est lui seul qui guérit) et où, d’autre part, celle-ci ne constitue nullement en elle-même un « travail ». Il est en réalité question ici non pas de « guérir » mais de « prodiguer un soin » sens premier du verbe therapeuô de savoir, comme Jésus d’ailleurs le précise, s’il « est permis de faire une bonne action le jour du sabbat » (Matthieu 12 : 12). Ainsi est-il de même préférable de traduire therapeuô par « soigner » (plutôt que par « guérir ») dans la plupart des cas où ce verbe est utilisé dans les évangiles, en Matthieu 4 : 23-24, par exemple : « [Jésus] soignait (ou traitait, verbe therapeuô) toute maladie et toute infirmité parmi le peuple […] Il les soignait (therapeuô) ».

 

La réaction des détracteurs :

 

De nombreux pharisiens, témoins privilégiés des guérisons opérées par Jésus, non seulement persistent à ne pas croire en lui, mais continuent, de surcroît, à réclamer des « signes » ou des « miracles ». Malgré les actes accomplis sous leurs yeux, ils restent, en effet, globalement hostiles à Jésus. Les docteurs de la Loi s’indignent, en particulier, lorsque Jésus soigne des personnes le jour du sabbat. Ce jour-là aucun travail, y compris médical, n’est autorisé (sauf si la vie du patient est en jeu). Les guérisons « surnaturelles » n’entrent pas dans ce cadre légal qui s’applique à une activité humaine manuelle et/ou de type professionnelle : visiter un malade était autorisé et guérir par la seule parole serait dès lors revenu à prier pour son rétablissement ce qui était également généralement admis par les pharisiens. Mais Jésus, lui, lorsqu’il traite un patient, joint le(s) geste(s) à la parole et il reconnaît alors accomplir un « travail » (verbe ergazomai en Jean 5 : 17 : « œuvrer », « travailler »).

 

L’efficacité du traitement :

 

Les soins prodigués par Jésus ne sont pas toujours immédiatement efficaces : il s’y prend parfois à deux fois. Certains échecs sont explicitement attribués par les évangélistes au manque de foi de ses auditeurs. Mais d’autres, sans doute, sont passés sous silence. Ici, les enjeux et la nature du texte doivent être pris en compte : il ne faut pas perdre de vue que les évangiles sont d’abord et avant tout des textes de propagande.

 

Les ellipses temporelles et autres facteurs rédactionnels :

 

Les ellipses temporelles sont fréquentes dans les évangiles. Il s’agit d’un procédé littéraire courant dans les textes narratifs. L’ellipse forme une sorte de « trou », de résumé dans la narration. Le temps du récit est plus court que le temps réel de l’action. L’action est condensée, la notion de durée est gommée. Par exemple, une journée entière, chez Marc (Mc 11 : 13-21), devient « à l’instant même » chez Matthieu (Mt 21 : 19-21). Il y a dans le texte sacré une distorsion permanente entre les paroles, qui sont au style direct et qui sont donc exprimées « en temps réel », et les actions, qui sont le plus souvent résumées en quelques lignes et qui, par contraste, donnent l’impression de se dérouler beaucoup plus vite que dans la réalité des faits. Les relations des évangélistes, qui ne sont pas des rapports d’experts, passent sur certains détails. Ils ne conservent le plus souvent, dans leurs rapports, que l’essentiel de l’action et surtout son résultat : la guérison. Ainsi, alors qu’une réduction de luxation, par exemple, a très bien pu être instantanée, une guérison d’ophtalmie, en revanche, a pu s’étaler sur plusieurs minutes, voire davantage, sans que cela transparaisse à la lecture du texte.

Mais d’autres facteurs rédactionnels doivent également être pris en compte, notamment les sommaires (Matthieu 4 : 23 et 9 : 35, par exemple), les doublons (en particulier chez Matthieu, en 9 : 27-31 et 20 : 29-34, par exemple) et les amplifications (en Jean 10 : 21, par exemple, la guérison d’un seul aveugle devient la guérison « des aveugles » d’ailleurs parfois rendu ici par un singulier dans nos traductions – voir également : Marc 11 : 13-21 et Matthieu 21 : 19-21) qui donnent l’impression que les malades traités (verbe therapeuô) par Jésus étaient innombrables et que les guérisons étaient systématiques et instantanées.

 

La polysémie du substantif oumân :

 

Dans les évangiles rédigés en grec, Jésus est qualifié de tektôn, « artisan ». Mais dans la langue source, l’araméen, son correspondant le plus proche, oumân, signifie également « médecin, chirurgien ». Dans nos traductions, Jésus n’est devenu charpentier qu’à la suite d’un malentendu alors que lui-même s’attribue expressément le titre de médecin, iatros, en grec. Le substantif « Sauveur » (Sôter) – attribué à Jésus – avait alors quasiment le même sens et le nom même de « Jésus » signifie « Dieu sauve », « Dieu guérit », en hébreu. Le substantif traduit par « Seigneur », Kurios en grec, et qui correspond à l’hébreu Adon, Adoni, en hébreu, était en outre une des formules de rigueur employées pour s’adresser au médecin.

 

La notion de miracle :

Un miracle n’est pas nécessairement un événement « surnaturel ». Il s’agit, fondamentalement, d’un événement fortuit ou espéré qui survient à un instant donné et que le croyant (ou la personne en passe de le devenir) interprète comme un signe divin. Celui-ci n’a réellement de sens que pour la personne réceptive. C’est la raison pour laquelle les détracteurs de Jésus, témoins oculaires des guérisons accomplies mais toujours incrédules, continuent de réclamer « des signes », c’est-à-dire, pour eux, de plus solides garanties. Pour les contemporains de Jésus, en effet, le médecin n’est qu’un instrument au service du Créateur qui est le véritable guérisseur. Aussi les docteurs de la Loi, pourtant loin d’être des mécréants, ne sont-ils nullement impressionnés par ce qu’ils voient et entendent et exigent-ils des preuves indiscutables. Quand Jésus prodigue des soins un jour de sabbat, il se met en infraction vis-à-vis de la Loi mosaïque puisque tout travail est interdit ce jour-là. Mais si Dieu accorde alors néanmoins par ses mains la guérison au malade, que faut-il comprendre sinon qu’il approuve le contrevenant ? Pour celui qui l’accepte en tout cas, c’est le « miracle », le « signe » que Dieu s’exprime à travers lui.

 

Tout indique, au final, que Jésus n’était pas un « imposteur ». Jamais ses détracteurs, qui le voyaient opérer, ne l’ont traité de « charlatan » : en hébreu, rophêh èlil, littéralement « faux-médecin ». Et pour cause. Jésus était un vrai médecin qui soignait et guérissait effectivement des malades. S’il est vrai qu’il s’est également, à l’occasion, vu accusé de « chasser les démons par le pouvoir de Belzébul » (et, par la suite, de pratiquer magie et sorcellerie), il convient d’observer – quoi qu’on en ait dit – que cette accusation n’a aucun rapport avec les soins prodigués et les guérisons obtenues mais qu’elles concernent uniquement les exorcismes pratiqués.

 

Cette analyse montre, surtout, par l’examen détaillé des actions qu’il a accomplies, que non seulement Jésus est bien un personnage historique (puisqu’il était « médecin ») – ce qui peut sembler hautement paradoxal – mais qu’une partie (au moins) des guérisons qui lui sont imputées sont elles aussi historiques : ce qui se trouve d’ailleurs être indirectement confirmé par les sources rabbiniques (Tosefta, Talmud et Midrashim) qui nous présentent les premiers disciples de Jésus comme des praticiens réputés. À cause notamment des guérisons considérées comme « surnaturelles » qui y étaient consignées, la quasi-totalité des actes et des paroles de Jésus rapportés dans les évangiles avaient en effet été jusqu’ici relégués au rang de la mythologie par la critique moderne. La perspective s’en trouve désormais inversée. La plupart des récits de guérisons forment en réalité le noyau dur qui atteste de la réalité historique du personnage Jésus. C’est, si l’on veut, « la preuve par les miracles ». Tout en gardant à l’esprit que les évangiles sont des écrits de propagande, ceux-ci retrouvent, ce faisant, leur statut de documents historiques. Ils se doivent d’être examinés, analysés mais également critiqués en tant que tels.

 

Des récits de guérisons qui mettent en scène un charpentier ne se lisent plus de la même façon si celui-ci est un praticien patenté, certes. Mais peut-on pour autant affirmer que Jésus ne disposait d’absolument aucun pouvoir « surnaturel » ? Objectivement non. Mes travaux montrent d’abord que certains des récits de guérisons relatés dans les évangiles peuvent être compris autrement et qu’en conséquence leur principal protagoniste n’est certainement pas un personnage de fiction. Les évangiles se présentent à nous comme un vaste tableau ou comme un palimpseste. Sous-jacent au texte et comme en filigrane, c’est ce socle historique que nous avons mis au jour. Sous la fresque, l’original redevient visible et ces soins médicaux, qui ne pouvaient dès l’abord que se supposer, apparaissent clairement une fois le travail de restauration mis en œuvre. Après deux mille ans d’impasse, ces quinze années de recherches permettent du moins de lever une partie du voile sur ce qui demeure encore sans doute aujourd’hui l’un des plus grands mystères de notre Histoire.

 

Thierry Murcia

Conférence à Rennes le château du Vendredi 27 août 2004 (texte revu : 2018)

Partie précédente de larticle (5/6) :

Début de larticle (1/6) :

Voir également :

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